
Eclipse, noir sur blanc. Fusion.
Le clair et le sombre s'enlacent, s'interpénètrent, s'auto-enfantent. Il en naît des belles de jour.
De délicates créatures blanches qui gardent comme cadeau de leur engendrement, comme héritage de cette union incestueuse, une bouillonnante obscurité dont elles se servent pour briller. Elles la gardent toujours au fond d'elles, un secret, un puit de pétrole, mais savent la faire sortir lorsqu'il faut; le sombre apparaît alors à la lumière sous forme de taches, agressives, incontrôlables. Agressives parce qu'elles se jettent à la face des gens à la façon d'un jet de vomi, incontrôlables parce que le plaisir que l'on ressent à ces moments là rend impossible toute retenue.
C'est une revanche: pour une fois, le noir n'est plus sous le blanc. Mais les éclipses, comme on le sait, ne durent jamais longtemps.
Belle de jour, cette chère Severine, se fait refaire le portrait à coup de merde et de boue. Botticelli attaché avec David Nebreda, merveilleuse Catherine Deneuve. Pour peu qu'on prenne le temps de s'identifier au personnage, la première question que l'on se posera devant cette image, est "qu'est ce qui pousse quelqu'un a avoir de tels fantasmes? Pourquoi rêver sur la saleté?". Légitime interrogation, mais ce qui m'intéresse le plus, finalement, ce n'est pas sa réponse, mais sa raison. Le pourquoi de la "saleté", du dégoût, thème de ce post.
Pourquoi sommes-nous dégoûtés par une chose, plus que par une autre? Par exemple, j'ai vu un jour une interview télévisuelle de Matthiew McConaughey (acteur bidon cela dit en passant) où une sorte de vache choucroutée comme seul le chow bizz américain sait en produire, lui pose la question qui tue: quel déodorant utilisez vous? Question à laquelle il répond, ô blasphème, qu'il n'en met pas! Cris d'hystériques dans la salle, anathèmes, auto da fés: fin du mythe de l'homme "le plus sexy de l'année" (oui, les américain ont toujours eu des goûts de chiotte).
Si elle ne l'avait pas interrogé, personne ne l'aurait su, n'aurait senti quoi que ce soit. Au pire la journaliste, seule à être suffisamment proche de lui, aurait pu sentir une odeur d'homme. Rien d'atomique, donc: en principe une personne qui se lave tous les jours, ne pue pas. Il y a donc une peur instinctive et irrationnelle de la saleté, ou disons plutôt, de ce qui n'est pas affiché comme propre. A voir plus profondément, donc.
Et là, ceux qui me lisent se diront que je me répète, mais je suis persuadé qu'il s'agit bien d'une névrose collective: développer des dégoûts irrationnels pour échapper à son propre dégoût. Le symptôme Blanche Du Bois. C'est ainsi qu'a toujours fonctionné la société, ou du moins les sociétés dites "modernes", emprisonnés dans cette image "bien sous tous les rapports". Image fantasmée, bien sûr, mais à laquelle notre besoin de tranquillité nous pousse. Prenons la France, et ces deux exemples: tout le monde sait que nous vivons dans l'un des premiers pays vendeurs d'armes, et tout le monde sait que la "sainte" république ne s'est pas construite par les lumières de la révolution, mais par ses massacres, ses discriminations et ses tentatives de génocide. Mais voilà, on ne peut pas le reconnaître, car cela mettrait en péril l'économie de la France, et ses valeurs. Ce sont des tabous, des sujets refoulés. Il en va de même pour les Etats Unis et leur histoire bâtarde et criminelle, la saleté étant pour eux essentiellement associée au sexe.
Le sexe, tiens. Voilà qui nous amène aux fondements de la société, j’entends par là le formatage hétérosexuel. Je me souviens un épisode de mon enfance, où j'avais été engueulé par une surveillante pour avoir prononcé le mot "homosexuel"; j'ai culpabilisé, ça ne se fait pas de parler de ça, c'est dégoûtant. D'ailleurs, "PD" est un gros mot, on le sait bien. Sans oublier "sodomite", la pénétration par où on est habitué à chier -le fait qu'un vagin serve aussi à uriner ne gêne personne, on peut fermer les yeux là dessus. Je l'ai expérimenté, comme tout le monde: les enfants sont bien formés à trouver l'homosexualité sale. Même la masturbation n'y échappe pas, énormément de filles trouvent encore dégoûtant de s'enfoncer un doigt. Sans oublier les autres pratiques comme le fétichisme (voir la caricature présente dans Sex and the City, du fétichiste des chaussures qui pète de plaisir), la zoophilie ou la nécrophilie. Oui c'est un fait, notre société n'est toujours pas débarrassée des dérives judéo-chrétiennes du Lévitique, s'inspirant encore de son modèle de "l'amour propre".
Mais bien sûr, le dégoût n'est pas limité à ce qui contrarie l'ordre "sexuel naturel", il touche aussi la sexualité de l'enfant, des vieux, des obèses, des handicapés, des mutilés. Pourquoi ce qui ne devrait être qu'un désintérêt esthétique se transforme ainsi en dégoût? Serait-ce encore lié au préjugé religieux qui a fait de la procréation le seul but du sexe? Ou au fait que lorsqu'on aborde ce thème on ne peut s'empêcher de se projeter, conséquence du cogito sexuel de notre époque? Ou à la société de consommation qui rejette tout ce qui n'est pas conforme aux normes qu'elle a elle même instauré (jeunesse et beauté) pour nous forcer à acheter? Je ne sais pas au juste, peut être les trois en même temps. Ce qui est sûr, c'est que l'écoeurement vient du rapport à la sexualité: tout le monde respecte les handicapés, mais dès lors que le sexe entre en jeu, ça change tout.
Par contre, je peux comprendre la mise en place de certains dégoûts. Celui de la merde, par exemple, est une manière d'échapper à la phase sadique-anale de l'enfance, étape nécessaire. Celui de l'inceste est aussi utile, ainsi que celui de la contemplation de la violence.
Mais il faudrait vraiment penser à remettre en cause ceux dont l’existence n’a pas lieu d'être. Quelques exemples hazardeux: ces gémissements d'horreur parce que je mange un gâteau un peu écrasé (la matière reste la même, le goût reste le même, mais voilà, le gâteau n'avait plus l'apparence clean, il n'était plus "bien sous tous les rapports"). Ou alors, ces déchirantes complaintes des cours d'SVT, lorsqu'il fallait manipuler avec des pincettes des grenouilles mortes -de quoi faire éclater de rire le plus jeune des gosses du tiers monde. Ou bien, encore pire: je me souviens d'un jour, en seconde, où j'avais dit que lorsque j'ai la grippe, je ne me traînais pas jusqu'à ma douche, et que de toute façon ça m'était égale de ne pas être propre lorsque je suis seul enfermé dans ma chambre; désapprobations de mes interlocuteurs, "il faut TOUJOURS se laver". Le pire, c’est que face à leur bêtise, je n'avais rien répondu: la saleté est le domaine sur lequel on ne peut rien dire, faute impardonnable pouvant défaire toutes les réputations. C'est ça qui me dégoûte maintenant. C'est même une des seules choses qui m'écoeurent, de ne pas avoir su remettre en cause des préjugés (la question du genre, notamment) à un âge où j'étais tout à fait capable de le faire. Ca doit être pour ça que la majorité de mes réflexions sont des confrontations, presque des règlements de compte. Diantre…
Diantre, bis, et puis voilà, j’arrête là mon speech. Ah si, juste une chose encore, pour finir: j'ai retrouvé un extrait de mon roman, qui se prête bien au thème du post:
Andréin s’est toujours satisfait de l’importance que lui apportait son statut de contradicteur. Quand il était au collège, par exemple, il ne se lavait pas: il disait que c’était, dans notre société névrosée, un acte militant. D’abord par son refus du commerciale comme secours à l’individu (obsession des déodorants afin de ne pas s’occuper de sa crasse intérieure, schéma bien connu), ensuite par sa volonté assumée de ne pas plaire aux autres. Il sentait lui-même, il empestait la chaire humaine, et tant mieux si ça emmerdait les homards aux balais dans le cul. Ainsi lorsqu’une personne jetait ses lubriques vues sur lui, il pouvait être sûr que son réacteur était bien sa propre odeur, et non celle de Jean Paul Gaultier. C’était les trouvailles du gamin qui ne voulait pas avouer ses problèmes d’argent –à moins qu’il le pensait vraiment, Andréin ne sait plus. Mais peu à peu, alors qu’il comprenait qu’il séduisait beaucoup, Andréin s’est mis à développer la thèse d’une revanche par la sophistication. De la dignité dans la capacité à vivre au dessus de ses moyens, du refus de l’état de survie dans lequel la société se plait à entretenir ses prolos, par l’accès au «grand monde», principalement celui de l’apparence. Un Vuitton vaut mieux qu’un repas équilibré, on le sait tous. Nouvelle thèse, qui lui interdisait, du coup, l'accès à la puanteur. Pour une révolution fashion.