lundi, décembre 25, 2006

L'accordeur d'écriture (rien du tout)


C'est maintenant clair: il m'est de plus en plus difficile d'écrire devant mon ordinateur. Je ne comprends pas pourquoi. Peut être ses ondes forment-elles un bouclier incompatible avec les miennes, ou mes pensées refusent-elles de s'accoupler avec un clavier trop lisse et impersonnel. Il est vrai que le crayon a plus de charme. Son contact est plus charnel, sa danse plus élégante et créative. On le choisit selon nos goûts, on mord dedans, on le taille avec nos ciseaux et nos rictus d'écritures. Le brouillon, notamment, est un paysage que ne comprendront jamais les sourires email diamant de l'ordinateur; un espace de jeu dont les formes se moquent bien de l'uniformité de l'écran. C'est peut être pour se venger de cette constatation que ce dernier se refuse à moi.

Enfin quoi qu'il en soit j'écris mieux dans les lieux qui ne sont pas fait pour ça. Dans les saunas, aux amants furtifs, aux mains fantômes et aux amours aquatiques. Sexe sous l'eau, sexe à trois, et même, rare étrangeté, sexe normal, moteur pour l'écriture. Dans les trams aussi, entre l'envol des regards furtifs, à laisser échapper entre les lignes, et les decrescendos des discussions du soir, aux fragments dont les vides enfanteront les regards du lendemain. Mais là où les mots me viennent le plus rapidement, c'est en boîte. J'aime particulièrement cet endroit, au Queen, où se retrouvent les trop bourrés, les dépressifs, les paumés qui avaient besoin de passer la nuit quelque part, ou ceux qui ont une overdose (très justifiable) de techno. Pendant que j'élaborais mon poème, un voisin s'est mis à me parler de sa mère, de ses petits déjeunés avec elle, de son journal intime. Il était plutôt mignon, et a passé la nuit à se chercher une fille -misère, quand tu nous tiens. La grande fille aux cheveux noirs, quant à elle, n'a toujours pas voulu danser; les gens l'abordaient non pas pour la draguer mais pour comprendre pourquoi elle glaçait la boîte. Peut être trouve-t-elle leurs pulsions de vie trop sûres d'elles. Les petits personnages dans la boîte, n'est-ce pas un semblant de vie, un mécanisme interne où il suffit de tourner les manivelles pour que les ficelles fassent leur travail? Cela se voit encore mieux d'en haut, fascinants mouvements de marionnettes dont ils sont eux même les accordeurs. Et pour l'écriture, qui donc est l'accordeur de l'écriture?

Manivelles aux effleurements

Chaque être est une ligne d'horizon. Qu'y a-t-il au delà?
Je lis entre elles et n'y vois rien. Rien que les résurrections hâtives d'un infini, mises en éveil par les effleurements de morts, qui font se tordre les lignes.
Lumières spasmodiques. Lumières charnelles. Poses outrées. Lumières pénètrent dans la poitrine, pour y renifler ses restes, cette odeur s'évaporant en électrochocs et en clair obscur, où chaque apparition de corps, révèle leur fin.



Si on me lit on me reprochera la répétition de "ligne d'horizon" dans mes textes (pour la dépasser?), mais quand il est 4 heure du mat on en est plus à ça près. De toute façon ce post est typique de ceux qui ne sont pas lu. J'aime bien écrire pour ne rien dire, ça me rassure, c'est là que je trouve que j'ai du talent. Alors que lorsque j'ai une théorie à défendre, je m'ennuie vite. Le rien, lui, ne m'ennui pas. Il me fait juste peur -peur surtout d'avoir à le remplir de façon pathologique plus tard, lors de ce moment fatal où la vieillesse ne trouve pas son compte en souvenirs nostalgiques, et qu'il ne reste que le regret. Il vaut mieux remplir le vide maintenant. Et c'est peut être cette perspective de vie comme ordre pressant qui me dérange, qui me bloque, presque. L'obligation du contacte avec autrui, par exemple, obligation de baiser. Alors qu'il n'y a pas moins séducteur que moi (lorsque j'étais encore vierge j'osais tout, maintenant je suis retourné aux regards fuyants et aux "je passe mon chemin"). Obligation de ces lieux pleins de vie, restaus bars grandes surfaces boîtes de nuit, lieux de marionnettes et de mécanismes étonnement bien huilés. Encore faut-il éviter d'y trouver un miroir trop sinistre de nos limites -ce qui est encore arrivé à la grande fille aux cheveux noirs. On peut y trouver l'écriture, c'est déjà ça.

Même quand ça consiste à écrire pour ne rien dire du tout.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette comédie humaine...

Anonyme a dit…

"Tu m'as dit si tu m'écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien oh pas grand chose
Oui oui oui oui oui oui oui oui
Ma Remington est belle pourtant
Je l'aime beaucoup et travaille bien
Mon écriture est nette est claire
On voit très bien que c'est moi
qui l'ai tapée
Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire
Vois donc l'oeil qu'à ma page
Pourtant, pour te faire plaisir j'ajoute à l'encre
Deux trois mots
Et une grosse tache d'encre
Pour que tu ne puisses pas les lire."

Anonyme a dit…

Entrer juste en ligne de compte
S’éloigner de la ligne d'horizon et ne pas prendre de distance
Éviter les lignes de fuite ...
Cette ligne fictive qui donne une authenticité à ta conduite
Ne pas être dérouté lorsque, ayant fait un pas en avant, l’horizon recule d’autant!
Écrire pour ne pas disparaître totalement derrière les claviers et les écrans
Enfermé, immobile, traverser la ligne rouge et le faire simplement
Ne pas savoir remplir le vide malgré tous les liquides à boire et tous les calvaires à subir
Se rassurer , se sauver de l'oubli
Dire l'amour et le mépris
S’accorder du temps

J’aime bien lire ce que tu écris quand tu n’as rien à dire, plein de mots dans la tête, la fille brune est un corps-paysage, une limite entre le ciel et l’eau, entre le fantasme et les mots…

Anonyme a dit…

Bravo, cher ami..
Quelle fraicheur! quel talent! Comme j'aimerai être celui qui t'accompagne dans ta quête d'absolu, dans ta projection de l'idéal. Je t'accompagnerai là où tu écrit le mieux.
Richard

Hannibal Volkoff a dit…

Merci pour vos commentaires, qu'ils viennent d'entrelats virtuels ou d'outre tombe.

Vous m'excuserez si je ne vous réponds pas un par un; je vais suivre le conseil d'autre et m'accorder du temps.

Ce moment où on se trouve devant les cordes du temps et qu'on se demande quoi en faire. Se pendre avec, ou le transformer en instrument?
J'aime le son du violon dans les demeures vides. Une tapisserie glacée.

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