mardi, juillet 31, 2007

Correspondance solitaire


J’entendais au téléphone une voix isolée, qui parlait sans interlocuteur. De quoi, malgré ma curiosité je n’osais la comprendre.


Cette voix ces paroles étaient un a cappella perdu. Je crois, elle devait rechercher ses instruments pour recouvrir sa nudité, la guider en de filaments harmonieux jusqu’à l’achèvement. Trouver dans l’autre un orchestre qui saurait l’accorder en dialogue.


Quelle était son origine? Elle devait aussi l’avoir égaré. A force d’errer à la recherche de son complément, elle avait oublié son corps. La chanson dévêtue, était devenue psalmodie.


Et puis, à la longue, je me suis surpris à en reconnaître des notes. Les fibres de cette voix, alignées, composées ensembles, ressemblaient à mon visage.



(petit texte inspiré par le garçon "Plus emo tu meurs, chaton du jour, Harry Potter." )

mardi, juillet 03, 2007

Chute




Charmes (vulgarité?) des vidéos décrépites. Sélection de corridas.
Masse sombre, masse menaçante du taureau contre les couleurs encourbées, élancées du matador, c'est le bien contre le mal, la lumière contre l'obscurité.
Le bien arrive dans la paseo, dans un cortège d'entrée quasi-religieux. Puis vient le combat, la mise à mort du mal. Cette mise en scène sacrificielle, de bouc-émissaire, commence avec le tercio de pique, dans lequel le matador jouera avec un drap rouge dont l'habit n'est qu'illusoire, telle une toge christique. Avec lui commencent les tortures des picadors. "Sans effusion de sang il n'est pas de salut", disait l'autre: il faut nécessairement une souffrance. Que les malheurs du monde s'échappent de ce corps par ses fissures, passages dans un autre monde, transcendé dans l'immortalité de la Tradition.
La seconde partie de la corrida est le tercio de banderilles, consistant en la pénétration de longs bâtons pointus sur le corps du taureau. Ornement, d'une couronne d'épines. On se moque de ses cornes, on lui en rajoute d'autres; l'humiliation s'en prend jusqu'au symbole de puissance de l'animal. C'est après cette étape nécessaire que se déroule la troisième partie, la mise à mort.
Mais il arrive parfois que le combat tourne à l'avantage du taureau. On parle alors "d'accident sportif", jamais de "victoire de la bête". Celle de l'homme devrait être évidente, la corrida est entièrement composée selon cette base, selon cet ordre. Un ordre qui, comme tous les autres, cache la volonté secrète d'être rompu. Rideau rouge déchiré.

Je ne me suis jamais vraiment intéressé au sport. S'attacher à une équipe pour la voir triompher contre une autre, c'est un trip qui me faisait vibrer dans mon enfance, mais voilà, j'ai grandi. Eh ouais, les clichés du p'tit cérébral chétif, je sais. J'assume: la seule chose qui peut m'intéresser dans le sport, c'est l'apport sensoriel qu'il m'apporte. Ce qui en exclut beaucoup, du foot à la natation en passant par le vélo, le rugby ou la course, toutes ses compétitions où il suffit simplement d'être plus fort que l'autre, sans aucune ambition esthétique. Bof. Je comprends que les sportifs puissent y trouver satisfaction, mais avouons qu'en tant que spectateur, c'est chiant. Je préfère encore l'anti-gravité de la gym, de la perche, du ski -en plus de la corrida, bien sûr. Parce que c'est beau. Je pourrais parler du patinage artistique, aussi, mais je ne l'ai jamais apprécié, trop souvent ridicule, trop paillettes. Ce qui ne m'empêche de pointer un bout d'oeil à chaque fois, en fait dans l'espoir de tomber sur les tourbillons orgasmiques de Lambiel, ritournelles d'un manège humain qui a perdu sa manivelle.

Mais au fond, j'assiste avant tout aux tournois de patinage artistique avec la même pulsion secrète que la corrida, avec le désir, inquiet et attentif, de la chute. Une dualité, entre la peur et la jouissance d'une possible vision, d'une corne s'enfonçant dans un corps glorieux, ou de la beauté d'un crachage de gueule sur banquise glacée. Beauté de l'imprévu. Mais surtout, et cela concerne en premier lieu la corrida, pulsion érotico-morbide de la déchéance. C'est la blessure d'une Tradition conservatrice et paternaliste, du jeune homme viril armé de son épée phallique, esquivant avec habileté les charges d'un double inversé, animal sceptré de cornes sans conscience. La sexualité maîtrisée contre la sexualité anarchiste, à soumettre. Ce doit être dans ce cadre érotique que la puissance de la chute s'épanouie. De la sexualité comme recherche d'inhumanité, thème bien connu. La Tradition tient un rôle paternel, elle cadre la société, impose les valeurs, elle doit donc être représentée par l'homme victorieux, le matador. En le pénétrant, l'animal transgresse l'ordre attendu; c'est le désir pulsionnel, celui de l'enfant, qui tue le père. Il reste alors la mère. Situation incestueuse, libération des désirs. Un retour à l'état infantile initial et inhumain.


Souvenirs du film d'Almodovar: Nacho Martinez se branlant devant la vidéo d'un matador, massacré par son adversaire. Je suis sûr que tous les fanatiques de corrida font la même chose.

(A mon prochain post, je me remets à la poésie.)

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