mardi, septembre 26, 2006

Divinement absurde



Aujourd'hui j'ai embrassé Pierre, j'ai erré en ville, et j'ai lu les poésies de Michel Leiris; je me sens donc d'humeur mystique.
Vous savez, cette même humeur qui fait que vous avez des visions divines partout -rues, tram, toilettes... Accompagné d'une bonne musique (You where the Last High, des Dandy Warhols, je m'en lasse pas), ça me ferait presque clamer le renvoit des anglais hors de France.

Ca a toujours quelque chose d'insolent de proposer de parler de Dieu. La moindre évocation, en particulier dans les médias, entraîne chez les uns et les autres des réactions instinctives de méfiance, voir même d'hostilité. C'est comme si le bon gros troupeau des laïcards se sentait agressé. Comme si la laïcité, plus qu'une protection, leur servait en fait d'oeillère pour éviter d'aborder ce bon vieux débat. Dans le cas de la mort de JP2, par exemple, combien de lettres indignées sur "l'omniprésence de la religion aux infos"? Dans le cas de la prochaine place JP2, combien de tarés pour geindre sur "la fin de la laïcité"?? Et c'est encore pire lorsque quelqu'un, dans un film ou une interview, fait l'éloge de ses croyances: on parle alors de "prosélytisme", comme si ça pouvait être un défaut de vouloir convertir les gens, de proposer ses convictions dans le domaine publique.
Oui, j'observe qu'il y a bien une peur athée. Souvenons-nous notamment du "cacher ce visage" islamisto hindouiste remplacé par "cacher ce voile que je ne saurais voir"... Enfin, évitons les malentendus: qu'il y ai une méfiance envers les religions, je le conçois parfaitement, car il est évident qu'elles recherchent toutes (avec plus ou moins d'entrain) le moyen de s'imposer, elles et leur contrôle. Mais quand la méfiance/le rejet se fait aussi face aux croyances, à l'affirmation de l'existence de Dieu, ça prouve que cette peur est plus profonde que ça.
Il suffit d'observer le dynamisme dont les athées font preuve pour "démonter" la Foi (et non pas les dogmes, sur lesquels ils n'ont en général aucune connaissance -voir les facilités à la Onfray). L'argument qui revient le plus souvent est -drôle de paradoxe- "vous croyez en Dieu pour combler votre peur du vide", toujours accompagné d'un "si tu apprenais qu'Il n'existait pas, ne serais-tu pas perdu, n'aurais-tu pas perdu tout ton soutiens?"... Eh bien justement non. Je trouve au contraire que le vide est beaucoup plus tranquillisant que le rempli; qu'il est plus reposant de limiter le monde à ce qu'on voit que de le soumettre à une dynamique transcendante. Avec une morale, induisant la possibilité d'un bonheur ou d'un malheur éternel -inimaginable vie éternelle, sans repos, sans mort libératrice. Et pourtant, je suis souvent étonné du nombre de croyants affirmant que Dieu donne un sens à leur vie, et à l'univers. Mais quel sens? Son existence ne répond pas à la question "pourquoi tout plutôt que rien?", n'explique en rien la raison du grand bang et de notre création. Non, la religion n'est absolument pas une échappée à la philosophie de l'absurde. Au contraire, elle l'affine: quoi de plus déroutant que l'absurde du vide, sinon l'absurde du remplis?
Cette constatation a été logiquement suivie d'une philosophie de vie (l'ordre transcendant, ou son absence, entraînant l'ordre du monde, et donc le notre): autant l'absurde du vide est une incitation à la disparition, autant celle du rempli implique une complaisance dans l'action absurde. Dans ce qui n'a pas de sens, ce qu'on appelle la folie. Ou la Foi, croire sans avoir besoin de preuves, et par là même en tirer toutes sortes de délires, rites ou superstitions, suffisamment fous pour qu'il n'y ait pas de doutes quant à leur provenance -l'Homme. Au fond, la Foi est l'aboutissement de la culture dans son élimination des entraves de la raison, cette raison si naturelle, si terre à terre, au profit d'une liberté largement plus anarchiste.

Nous espérons tous que Fitzcarraldo construise son opéra dans la forêt amazonienne, pour ses indigènes, ses oiseaux et ses singes qui déjà constituaient le seul public d'Aguirre....

Mais en attendant, je dois retrouver Pierre. On dit, que c'est lui qui a les clefs du Paradis, que lui seul peut en ouvrir les portes. Ca tombe mal, je ne compte en faire que le coup d'une nuit.

lundi, septembre 18, 2006

L'amante religieuse


L'amante religieuse

Un texte que j'ai déjà envoyé, dans le forum métamorphose. Mais j'aime bien l'idée d'une sphère où il y aurait toutes mes réflexions, une sorte de compil' à consulter, donc je le replace.


Pour le retour du cannibalisme.

Tout le monde a entendu parler de la charmante histoire d’Armin Meiwes et de Bernd Brandes. Cette rencontre de deux braves citoyens allemands qui a "défrayé la chronique », comme on dit, histoire d’un informaticien de quarante-deux ans et d’un ingénieur de quarante-trois ans ; deux bourgeois respectés, élégants et sympathiques, qui, comme tout un chacun, saluaient les voisins, riaient devant les films drôles, allaient au supermarché pour s’acheter des saucisses. Et qui, comme tout un chacun, se rendaient sur leur ordi afin de pouvoir se créer la vie sociale que notre époque rend de moins en moins possible, j’entends par là la rencontre de l’autre, de préférence rencontre sexuelle.

Il n’y aurait même pas de quoi écrire un article, si l’annonce d’Armin... n’était pas une invitation au meurtre et au cannibalisme. Invitation à laquelle Bernd a répondu, voyant là une belle occasion d’enfin réaliser leur rêve d’enfance (peut être lié à la mort de leur mère respective), après des années et des années de refoulements et de frustrations. Le premier va alors trancher le divin sceptre du second, le dévorer avec lui, et va le tuer pour le garder en tranches dans son frigidaire.
Armin a dernièrement été condamné pour meurtre «pour satisfaction sexuelle » et pour «déranger la paix des morts »….

C’est cette précision, le dérangement de la paix des morts, qui m’a fait réagir. Qu’un tribunal utilise des vieilles peurs issues du judéo-christianisme pour un verdict, ça a bien de quoi étonner. L’ensemble du jury pensait-il donc vraiment qu’il faut enterrer les corps afin qu’au Jugement Dernier ils puissent se réveiller ? Non, je crois qu’ils ont surtout voulu faire appel à des croyances irrationnelles, simplement parce que le cannibalisme en lui-même leur paraît irrationnel. Un tabou. Jamais il ne leur est venu à l’esprit que quelqu’un, équilibré d’esprit, puisse se lécher les babines devant une belle cuisse musclée et resplendissante.

Et pourtant, je ne voudrais pas leur faire un cours d’histoire, mais ils ont l’air d’oublier qu’énormément de peuples/de tribus s’entredévoraient, des Aztèques aux Hittites en passant par les Iroquois. « C’est pour cela qu’ils ont disparu, c’étaient des barbares... » Eh bien non, je vois pas pourquoi. Au contraire, le cannibalisme me semble être un atout intéressant pour une société. Je pourrais prendre comme exemple le film Soleil Vert, dans lequel le gouvernement sauve sa surpopulation en distribuant aux vivants les restes recyclés des cadavres. Ce n’est pas une mauvaise idée : il y a tellement de morts, dont la chaire est encore comestible, et d’un autre côté, tellement de gens qui crèvent de faim… Pourquoi préférer nourrir les vers plutôt que les humains ? Simple affaire de logique. Tout comme la main mise de l’état sur les cadavres : l’individu n’appartient pas à sa famille, ni vivant, ni mort. Son corps devrait revenir au gouvernement, qui s’en servirait pour le distribuer aux plus pauvres. Savoir que sa mort servira à nourrir les pauvres, n’est ce pas réconfortant ? N’est ce pas une mort patriotique ? Si, ça l’est, en plus d’être un excellent moyen pour lutter contre la discrimination, envers les obèses. « Plus vous êtes gros, plus vous aidez votre pays ». Pour une société meilleure, avançons, pas à pas, vers un avenir cannibale… Bien sûr, on me répondra que la majorité des gens meurent le corps suant d’antibiotiques, de cancers, pourris par les substances illicites… Il est donc évident, qu’il faudra faire un sacré tri, que les chercheurs devront travailler à la découverte des parties saines. Sinon, il faudra privilégier les bébés, les morts nés. La chaire la plus tendre. La plus pure, excluant les « crapauds » artificiels qu’on ne saurait digérer. Ce serait une manière d’avorter sans pomper une fois de plus dans les haillons de la sécu ; au contraire ça lui rapporterait. Ce que nous souhaitons tous, n’est ce pas ?

Il se peut que certains soient choqués par ce que je viens de dire, à cause de… euh… de je ne sais quel préjugé. Sans doute le cliché du « le bébé c’est mignon on ne doit pas y toucher »… Mais cette catégorie là de puritains niaiseux semble oublier que s’il y a bien quelqu’un qui s’y connaît en anthropophagie, c’est l’enfant. L’enfant vivant en son monde de pulsions, parmi lesquelles, et peut être au centre de toutes, se trouve le cannibalisme. La théorie n’est pas nouvelle. Notre premier amour à tous était celui que nous éprouvions pour notre mère, et cet omniprésent besoin de fusion, exprimé par la bouche. La bouche grande ouverte avaler le téton aspirer la mère. Faire en sorte qu’ils ne fassent plus qu’un. C’est une volonté qui ne nous abandonnera jamais, qui sera toujours présente dans nos désirs sexuels ; fantasmer sur la peau du partenaire, sur son odeur nous attirant comme le ferait une tablette de chocolat (un aphrodisiaque, si si), enfin le goûter, ses baisers, son corps, le lécher et le mordre, avoir sa chaire en soi et ne plus vouloir s’en séparer. Oui, le cannibalisme c’est l’amour. Un peu comme le vampirisme, faire l’amour en partageant son sang (son sperme, sa salive) ; d’ailleurs c’est bien connu, le plus grand rêve des bébés est d’avoir des dents, afin de pouvoir mordre le sein de la mère, et de tout absorber beaucoup plus vite, pour leur plaisir à tous les deux…

Absorber l’autre, physiquement, mais aussi psychiquement. L’anthropophagie, tout comme le vampirisme et l’amour, n’est pas seulement la volonté de satisfaire ses désirs, mais en plus celle de se renforcer. De s’approprier la force de l’autre, contenue dans le corps, le « Temple de l’esprit ». Un partage. Oui, contrairement aux coutumes tribales qui faisaient du cannibalisme une sorte de supplice, je pense que ça peut être la transmission positive d’une nouvelle force. Le mort, sa mémoire, avec ses petites ailes dans le dos et son lit dans les nuages, sont beaucoup moins utiles que lorsqu’ils sont transmis à même le corps, dilués dans le sang. Pourquoi sa « paix » serait-elle dérangée ? C’est ce qu’à compris le christianisme, selon lequel l’amour de Dieu ne peut être ressenti qu’en mangeant Sa chaire, l’hostie. Un schéma identique à celui de l’enfant avec sa mère : dévorer pour grandir. Dévorer pour avancer, amener à autre chose.
A un enfant, tiens, pourquoi pas ? C’est en tout cas la méthode des mantes religieuses. Grandes dames à la robe verte, aux pattes ravisseuses dans lesquelles s’engouffrent les petits mâles en quête d’orgasmes ou de paternité, le crâne lentement dévoré par les crocs pointus des ladies, pénétrant au plus profond d’eux jusqu’à cette partie inutile de leur cerveau, qui affaiblie les capacités sexuelles. Plus de plaisir, plus longtemps. La mort du père, la jouissance de la mère : l’enfant dans toute sa splendeur peut arriver en ce monde, et achever ce qui reste. Il n’y a rien de plus beau qu’un rêve d’enfant…

Maintenant question : et si nous évitions d’être hypocrite ? Pourquoi persister dans cet absurde et irraisonné dégoût du cannibalisme ? J’en entends déjà, au fond de la salle, qui me sortent que certaines personnes sont tellement laides, qu’ils ne voudraient même pas avoir à les toucher. Sauf que s’ils sont servis en steak, je ne vois pourquoi ce serait forcément plus écoeurant que ce qui est déjà servi au MacDo. Car effectivement même si l’anthropophagie a des origines sexuelles, il faut voir plus loin : dans une ambition économique, et peut être, même, dans un cadre de survie d’une Terre surpeuplée. La continuité de la vie, celle des morts, par leur mémoire digérée, et celle des vivants. Au fond, c’est la même ambition que l’amour, non ?

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