dimanche, septembre 13, 2009

Entracte

Bon, pour patienter, une poésie d'adolescence :


A l’aurore les rayons du soleil, il y a cet instant. Les toits de Paris laissent couler sur eux le chatouillement perçant du doré qu’ils font chuter contre les murs par un jeu de cache-cache. Tout est en progression, en tâtonnements légers et polis. Un état laisse place à un autre, c’est une association, comme deux animaux qui se reniflent ils inspectent leur territoire, reconnaissent les masses auxquelles l’un s’accroche et l’autre s’échappe. L’instant est la note bleue de l’interférence. Le mitan du passage.
Je cru y voir une respiration alors ; l’écran palpitait de cette dualité. D’une révérence de cil, il se brouilla selon l’urgente cadence de battements de cœurs, des battements renégats, cachés, cachés peut-être pour trouver dans l’effort de leur découverte la mécanique qui les éveillerait. Un souffle, comme un ectoplasme, qui s’atténua petit à petit. La vie pouvait commencer.


Les filles en tenue de travail s’élancent dans le métro, aliments pavanés dans un estomac. Elles espèrent que les portes se refermeront sur elles les empêcheront d’entrer,,,,, mais elles ne s’arrêtent pas. Leur persévérance a la maladresse d’une rature, se disent-elles. A l’intérieur, les filles en tenue de travail se regardent, honteuses.


(Mais où donc s’en vont les regards fuyant ?
Là où ils trouvent satisfaction, entre eux)


Et entre nous un espace délimité par la pigmentation de nos peaux. On voudrait y créer, un réseau, où les flux de grains complèteraient nos ressources –et garder un canton pour nous, sur les pentes notre boudoir, garder un cantique pour nous. Jamais dans le métro dans le bureau ces grains ne prennent la lumière, mais il leur arrive d’intercepter une écoute, une pause attentive qu’ils gardent dans leurs pores. En faire l’élevage. Se dire qu’ils comptent pour nous. Comptabilité bien tenue, combien tu m’aimes, entre quels horaires notre distance peut-elle déborder je veux créer un surplus. Je veux, oui investir dans l’éclatement, investir dans ta vie suturée dans l’envie saturée de ne plus être qu’un. Gérer les liens de silence. La perspective de les tendre, de les déployer, de les déplier, un jeu de marionnettes toutes reliées, d’une grande famille. Ces ficelles comme des routes, de moi à toi –nouvelle structure squelettique. Mais, laquelle pour éveiller ton regard ?


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J’ai finalement investi dans les gants pour manchots, je suis heureux. Tous les acheteurs deviendront des amis à moi. Le lendemain je veux revoir cet instant, de la note bleue. La respiration a changé : elle s’est accompagnée d’un frêle éraillement, d’un début irrégulièrement perceptible d’atténuations enrouées. Je n’y retournerai plus.





J'écris aussi chez les Menstrues Délétères. Mes articles :
http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2009/06/ceci-nest-pas-un-inventaire-ni-un.html

http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/08/ceci-qui-est-le-plus-informe-textes.html
http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/04/sly-and-gayz-andogyny.html

http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/03/prsums-innocents-tout-finit-bien.html

http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/03/poussire.html

http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/02/le-rgne-de-la-pornophobie.html

lundi, mars 23, 2009

Neuilly

C'est un texte que j'ai écrit les derniers jours de l'exode à Neuilly. Je suis actuellement de retour dans le 5ème, agitant un mouchoir maculé de morve vers cette banlieue de costard-cravates.
(La cravate, en fait, m’a toujours fait penser à une laisse. C’est sans doute pour cela qu’elle est obligatoire en entreprise)


(extrait de ma série "variation sur ma vue à Neuilly)

Depuis que j’habite à Neuilly je suis régulièrement agrafé par un voisin fou, à l’aporie pantoise de sa présence et à l’incapacité de m’en tirer avant plusieurs heures (avant la grossièreté). Je pourrais aisément vanter la gentillesse de cet homme, ancien peintre psychédélique, ancien militaire, ancien costumier du festival d’Avignon, ancien sdf, ancien tout et n’importe quoi, mais son verbiage, à grand renfort de rabâchage et de formules automatiques, me plonge dans un abîme de terreur. L’année dernière j’étais harcelé par un moine spiritain, cette fois ci me voilà en prise avec une véritable adaptation de Kafka. Il me parle de sa vie, m’interroge sur la mienne sans écouter les réponses puis repose les questions avant de répéter les mêmes phrases sur sa vie et ainsi de suite jusqu’au vertige existentiel. On a tous connu ce genre de personnes qui ne peuvent s’empêcher de conter leur ennui en insistant sur chaque détail inutile, mais je remarquai rapidement que, plus redoutable que des autres, lui a le pouvoir de radoter à l’infini ! Et le tout dans un charabia dont le sens et la logique m’échappent complètement –non mais tout ça c’est pas moi je Sacha Guitry, moi moiiii je vais loiiiiiinn, la conscience hein... Qu’on me révèle qu’il sort exactement les mêmes inepties à quiconque l’approchant et je sonne les violons de Psychose. Les premières fois je restai poli avant de pleurer en rage le temps perdu. Puis je me surpris à me permettre face à lui l’expression dans toute sa violence de ma saturation. Mais voilà, les abysses n’ayant pas de fond, je finis par céder sous l’assaut acharné de son maelström, me morfondant dans l’effort le plus bouleversant qui puisse être de renonciation. Celui que je lui dois vis-à-vis des services qu’il me rend. C’est ainsi que fonctionnent les pervers dit-on, la dette à régler envers eux, et le discours en prime sur l’ingratitude des jeunes pour me culpabiliser. Je prends donc la pose et l’expression de l’auditeur attentif, c’est une chose que je sais faire, et j’écoute Creedence ou Ella Fitzgerald à mon secours derrière lui, et je tente d’envoyer discrètement des textos, et je compte chaque gorgée du vin qu’il m’offre comme compensation, et je réfléchis au sens des offrandes sacrificielles que la politesse sert à genoux au rire de Dieu. Dans ce genre de situation les cons parlent d’hypocrisie. Non, ce n’est pas parce qu’on se refuse à ignorer ou mépriser ouvertement quelqu’un qu’on est hypocrite, au contraire, c’est bien parce que l’on reste bêtement conforme à ses principes qu’on peut affirmer ne pas l’être. Le voisin fou, syndrome de Stockholm oblige, je l’aime bien quand même. Je doute cependant d’avoir le moindre regret après mon départ.

(Pourquoi est-ce que je parle, pourquoi est-ce que j'écoute surtout, aussi facilement les gens ? M'intéresserais-je à eux ? Serais-je si terrifié à l'idée de froisser mes interlocuteurs ?)




Toute mesure gardée, le voisin fou me fait penser à une amie enracinée elle aussi à Neuilly, Brigitte F., dont d’ailleurs j’ai appris récemment le nouvel état de veuve. Brigitte F. est une charmante houppette du soleil couchant, sacrophagèsque, de la haute bourgeoisie ; toujours séduisante, mais dont la principale et première ride est d’oublier la moitié de nos anciennes discussions à chacune de nos retrouvailles, ce qui a la caractéristique d’être énervant. Veuve aussi de sa mémoire. Je lui accorde tout de même une excuse, ou dirais-je deux, la première étant qu’en fait je ne l’ai strictement jamais vu en dehors de l’assortiment d’ivresse qui fait tout le charme de ses dînettes (mis à part notre passage au salon de l’art contemporain avec notre connaissance en commun, le chorégraphe Yohann D., consistant cependant à se mettre dans la poche et si possible dans le foie tous les vendeurs disposant de bouteille de vin), leur charme et leur limite. Mesurer le gondolement étourdi de sa démarche au moment même de mon entrée chez elle est un rituel d’incipit au même titre que de reconnaître le compositeur de ses disques de Bach jouant l’attente de la dînette. Quant à la deuxième excuse, c’est simplement que le radotage inclue par ses oublis, a le mérite d’être divertissant, parfois drôle et orné de son fameux accent, toujours. Et puis, plaisir visuel aussi : voir Brigitte F. se torcher la gueule, avouons que ça vaut les quelques minutes d’exaspération qu’impliquent les conséquences verbales. Quelques minutes pour penser à Neuilly et à ses protagonistes, repliés en bout de route dans un no man’s land autarcique où tel des hamsters leur esprit s’essouffle à trouver le nord d’une roue d’argent.

Car s’il devait y avoir une personne avec qui je ne projetterais aucunement de finir la soirée en vomissant le bourgogne qu’elle m’aurait versé dans l’anus, je pense que cette septuagénaire serait bien placée. Reste donc la discussion d’ivrognes. Mais dans une conversation, je crois que rien n’importe plus que la nouveauté. Lorsque quelqu’un se répète, ses sujets continûment exprimés dans une forme distincte (mêmes mots, mêmes images, mêmes formules, même ton ou encore mêmes gestes) disparaissent au profit d’une nouveauté qui soudainement apparaît : la méthode de l’expression des sujets. Pouvoir décortiquer les rouages d’une rhétorique jusqu’à déceler ce qui a été appris par cœur, ce qui a demandé un entraînement ou a été étudié dans le but de produire un effet, voilà qui ne peut être dénué d’un sentiment de ridicule, voir de pitié. La mémoire est le sang nécessaire qui dans le corps d’une conversation cache le squelette-méthode. J’oserai d’ailleurs creuser un prolongement hasardeux : si la droite Sarkosyste se souvenait réellement des systèmes fascistes de toute sorte, rajouterait-elle des couches supplémentaire de peau pour camoufler à quel point leurs méthodes sont proches ? Elle n’en a pas besoin, elle l’a vu, son interlocuteur semble souffrir lui aussi d’Alzheimer, brave hamster, qui rêve de Neuilly, ce ghetto chiant au possible où les gens dans leur oubli du monde votent à droite et meurent.




A la fin, mon voisin fou, après d’inlassables tartines d’une prose digne qu’à être étalée en garniture à la nappe céleste quand par malheur son solitaire crépuscule manque d’alcool, après son radotage dont l’éternelle boucle est une réponse hallucinée au renouvellement de la nuit, mon voisin fou me demande Jean, va-t-on s’en sortir ? Bien sûr que oui, enfin.

Ou pas

Il s’approche et s’assied à côté de moi, arrivé en retard à la séance du film où de vieux hommes déambulent dans le sable et où une famille les attend en embêtant une brebis. Le film est Le chant des Oiseaux, d’Albert Serra, les Rois Mages traversant le désert pour Jésus. Lui est brun ses cheveux courts d’une légère ondulation qui se prolonge dans toute sa silhouette, dans la banalité détendue de ses habits, il est seul. Son visage est difficilement visible, se devinant derrière le noir comme les images subliminales du demi-sommeil, clignotantes selon le matinal, l’érectile dosage entre visible et invisible. J’aime les gens qui vont seuls au cinéma, surtout quand ils sont jeunes et que la séance en question est aussi désertique que celle d’Albert Serra. Je crois que c’est avec eux, les spectateurs solitaires, que le partage cinématographique se fait le plus intense. Soyons précis : les jeunes et séduisants garçons assis seuls ; chez eux l’avis post-visionnage, ces miettes qu’on éparpille en espérant que leur entassement modèlera à nouveau le film, prend le goût d’un hors d’œuvre caché, prend les traits de leur dimension sensuelle et le flou de leur inaccessibilité. On soupçonne toujours la beauté qu’on projette sur le corps d’une jeune silhouette inconnue d’être telle une plage pure, je pense que tout adophile me comprendra. L’idée qu’elle puisse être traversée par des pensées, et surtout, par des émotions, cette idée là est stupéfiante. Car enfin, si cette pureté fantasmée est définie par un dépouillement absolu, que peuvent donc être ces émotions et pensées que l’on sait présentes mais dont on refuse tout défaut ? De la même manière que les images de l’écran se propulsent sur son visage en ondoyant ses traits, en cachant ses imperfections, le garçon qui s’est assis à côté de moi devient Le chant des oiseaux. Il devient, quoi, noir et blanc, la lenteur reposée entre chacune des crêtes de ses dunes, drôle et contemplatif, beau tandis que le film l’adopte comme un appendice connectif et mimétique. L’entre-deux qui tend la distance en un échange illustratif, mais si irréel, si absorbé. Car enfin, si ces impénétrables spectateurs étaient plus réels que le film, je les aurais bien abordé au moins une fois –mais non, ceci n’arrive jamais, et ils finissent toujours par disparaître dans le blanc fœtale de l’écran vide.
Celui-ci cependant me touche le bras de son coude. Seigneur, je bande.
-Deux européens blancs qui sont en contact physique, en général ils ne sont pas sans l’ignorer. En Tunisie j’avais été surpris par la normalité, l’absence totale d’ambiguïté des contacts ; dans une voiture un garçon avait la cuisse contre la mienne et ne semblait pas même le remarquer (ce rapprochement m’a obnubilé pendant tout le trajet). Sans doute est-ce ainsi dans les cultures où l’homosexualité n’existe pas officiellement. Mais dans la culture judéo-chrétienne, à moins d’être ivre, je crois que tous y prêtent attention et notons que, si l’on en juge l’érotisme qui en résulte, ce n'est pas forcément plus mal...
Or donc, si le garçon ne retire pas son bras, dois-je en conclure que l’impudeur de cet effleurement ne le gêne pas, ou même, qu’il lui plait ? Les questions affluent et finissent par obnubiler. Coude + coude point précis d'intersection, bogosse ? Il y a là une porte offerte vers les méandres de cette perfection de cinéma. Je m'excite. Mes jambes se contorsionnent en exploit acrobatique pour dissimuler la tyrannie de mon érection. C’est comme si entre chaque plan du film un coude se cachait, envahissait les ellipses et les articulait aux images, faisant de cette confrontation (ce partage) l’érection même. Le chant des oiseaux se change en chant érotique. Tout son sens se révèle soudain. Quel étonnement, ce coude qui rapidement s’infiltre en moi avec la promesse d’un corps entier, d’un prolongement, quelle jouissan…
Le garçon part au bout de 30 minutes : Albert Serra, manifestement, le fait chier.
Et merde.




Ou alors : je me jette sur lui et arrache ses fringues d’un coup, il se laisse faire, m’embrasse. La langue est toupie et le film tout d’un coup voyeur. Je me déshabille aussi et nous faisons de notre nudité le nouveau présent des rois au Nouveau Né, totale et éclatante sous la lumière soudainement épurée, recueillie imprégnant la salle. Nous caressons nos sexes en élévation. Tous autour de nous contemplent le film devenu pornographique, tâtent leur attribut encombré ou leur chatte édeniquement noyée. Ils observent nos doigts forçant les remparts de l’anus, les bouches entre les pénis et la salive dont on ne discerne plus le possesseur. Nous jouissons, la Bible entière en rêve un nouveau Quantique des Quantiques, nous jouissons tous en même temps dans les déserts de Palestine jusqu’à l’étoile guidante des écritures sans lettres. Et, nos joues rouges de beauté, nous nous retournons pour admirer le panneau End couronnant le Partage de minuit sur l’écran orné de sperme et retournons chez nous dans la félicité de l’allégresse (et vis versa), ô trois petits points vers l’étendue du très haut...

Joie

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