dimanche, janvier 28, 2007

Les brides inhumaines

Tu as quel âge? demande la jolie fille brune et classe
20 ans, répond le garçon blond
Ah, dommage.

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Avant mes 19 ans j'étais un garçon facile. J'en étais très fier, fier de mon ouverture, de ma capacité à trouver de quoi prendre en chaque corps. Je me voyais comme une sorte d'élite sexuelle, celle qui serait débarrassée de tous les conditionnements de départ. Alors que les garçons de mon âge désiraient les filles de notre âge, moi je désirais les garçons et les filles, les jeunes et les vieux, les beaux et les laids; c'était une sexualité qui s'épanouissait dans tout ce qui fait le monde, une communion avec lui que je rapprochais du mysticisme. Ou du christianisme. De la volonté d'aimer mon prochain "pour ce qu'il est", comme on dit bêtement. Voir même, de la volonté de briser les hiérarchies sexuelles -c'était aussi du socialisme, mine de rien. Je savais que j'étais dans le vrai, et pourtant je me suis finalement mis à faire des sélections. J'ai vieillis. J'ai donc commencé à orienter mes désirs, principalement sur les jeunes.

(Silence dans la salle: ais-je vendu mon âme au diable?)

J'ai l'impression que c'est nouveau, dans la société, cette obsession de l'adolescence. Si on en croit les livres, il y a un siècle les gens avaient leurs premiers rapports sexuels à 25 ans, et étaient encore à 40 ans considérés comme jeunes (nous savons tous que les deux sont intimement liés). Il y a cinquante ans, ces âges moyens, de dépucellage et de limites pour la jeunesse, se soustrayaient de 5 ans. L'évolution, à notre époque, est proportionnelle. On baise pour la première fois à 15 ans, et 30 ans est l'extrême limite avant de voir le sexe comme une consolation. Phénomène suivi par la culture et les médias. J'ai une amie qui est mannequin, mais voilà, elle a 20 ans: trop vieille. Continuer au delà, c'est pour les VIP. Il en va de même pour le sport: qui s'y intéresse si les sportifs ne sont pas jeunes et séduisants? Les toreros adolescents, par exemple, c'aurait été impensable il y a quelques décennies. Pareil pour les groupes de rock. Pas un mois sans qu'arrive une pléiade de jeunes "relèves", la plupart sans grand talent, mais toujours encensés en une aveugle surestimation. Arctic Monkeys, The Kooks, James Morrinson, Razorlight, Blood Red Shoes, Second Sex..... Plats et conventionnels, ils ont néanmoins un avantage, qu'ont bien saisi les labels de musique, c'est l'énergie sexuelle transmise par leur inédite jeunesse. Je ne vois pas qui écouterait ces chanteurs sans être uniquement motivé par l'envie de baiser avec eux. Leur succès est pourtant révélateur.
Il n'y a qu'en littérature que ce mouvement n'a pas cours: pas assez corporel, pas assez visible. On a Claire Castillon et Florian Zeller, on se dit que ça suffit. Les émissions littéraires sont trop rares pour en montrer plus.

En fait il y a eu, pendant ce siècle, deux grands moments "jeunistes": l'après mai 68, et les années que nous passons en ce moment. Toujours déclenchés par des petites crises de colère (le fameux mai, puis les cités et le CPE) que les médias érigent en révolution pour qu'enfin (légitimement ou non), tous les regards soient tournés vers le jeune, et qu'enfin, ce moteur prioritaire de la consommation soit canalisé de manière profitable. C'est la première raison, évidente. L'obsession de la jeunesse arrive au moment où la société de consommation en a besoin. Et plus le nombre de naissance -donc de jeunes, haha- diminuera, plus cette société sera dans le besoin. Du coup, non seulement il faudra veiller à toujours comprendre la demande des jeunes, mais il faudra en plus faire en sorte que les adultes aient les mêmes goûts que leurs ados -afin de boucher les trous. C'est simple: travailler à ce qu'on s'identifie par ce qu'on consomme (voir toutes les publicités qui mettent en valeur l'identité), et à ce qu'on veuille être à tout moment "dans le coup", si on me pardonne la vieille expression; donc à être jeune. L'élément clef de cette narcissique envie de rajeunissement est le sexe. Houellebecq ne cesse d'en parler. Dans La possibilité d'une île, il explique que ce ne sont plus les filles qui s'habillent comme leur mère, mais les mères qui s'habillent comme leurs filles. La consommation et les codes sexuels sont inséparables; ils sont destinés aux jeunes, c'est aux adultes de suivre. Les femmes habillées en petites allumeuses sont un exemple parmi tant d'autres, au même titre que le mouvement des "adulescents".

En lisant un article sur la religion en France, j'ai remarqué une analogie intéressante: d'après les sondages et statistiques, ces deux périodes de jeunisme ont été les deux plus grands vides pour le christianisme français, en matière d'adeptes.
Faut-il en conclure que notre société s'imposerait un ultimatum "Dieu ou les jeunes"? Se poser cette question consciemment, cela revient à choisir entre l'immortalité et l'éphémère. Choix paradoxale quand on constate que ce que les gens recherchent en la jeunesse, c'est l'immortalité (maintenir sa vie dans la vigueur, la beauté, la fraîcheur...) -tandis que Dieu, Lui, devient un soutien temporaire, l'appui du moment. On en est là. Pourquoi cet échange? Sans doute parce que Dieu est un absolu infini. Et que l'adolescence est son contraire: elle est un mouvement où rien n'est encore défini, corps, sexualité, choix professionnels, goûts personnels; c'est la période de l'évolution. Le jeunisme arrive ainsi quand on a besoin de changements (Dieu, toujours associé à la fin, se rétabli lorsque cette tension retombe, comme pour s'en consoler), de retourner au point de départ. Le point zéro, la page vierge. Oui, voilà le véritable paradoxe de l'adolescence, il s'agit d'un passage à l'état humain, une "humanité en devenir", et en même temps de l'apogée de cette humanité (Dieu?) qui se dégradera par la suite. Ce que l'on cherche en elle, ce sont ces brides d'inhumanité, non pas pour "fuir le réel", comme le dirait Finkielkraut, mais pour l'achever. Dans ce domaine, notre société a l'air de trouver que l'adolescence marche mieux que Dieu. Après un certain âge, elle est pourtant aussi peu concrète.

Et le remplacer par un autre réel? Celui d'une perpétuelle jeunesse, qui s'épanouira sous la révolution eugéniste, la technologie corporelle ou le clonage? Ou celui du chaos, tel que se plaisent à nous décrire les nostradamus en tous genres, que ce soit un chaos économique, morale, social, ou surtout, écologique... Dans ce cas là, voilà une bonne raison d'aimer les nouvelles générations: ils vont peut être en baver encore plus que nous.

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Et moi j'arrête là mon texte, sa rédaction a été particulièrement chiante. Vous voyez, j'ai vieillis, j'ai de moins en moins de grandes envolées dans mes textes, et de plus en plus l'impression de radoter. D'ailleurs, ma dernière excursion nocturne. Il y avait, à côté des djs, devant tout le monde pour bien montrer la robe dolce, la "fille classe de la soirée". Nos regards se croisent quelques secondes (c'est très long quelques secondes en boîte), très hollywoodiens, faussement froids, d'un froid faussement naturel. Elle vient me voir peu après et me demande mon âge. Je lui dis 20 ans, c'est vrai après tout. Avec sa main elle m'effleure ma joue mal rasée, et me dis "ah, dommage". Trop vieux, et elle s'en va, tant pis. Merde.

(!!!)

6 commentaires:

Anonyme a dit…

L'attente d'une renaissance est-elle désespérée?
Je regarde par vos yeux, sans certitude, ni surprise.
Essayez de me décrire l'avenir.
Un avenir sans contrainte.
A la découverte d'une terre étrangère,
Sur les routes complexes qui sillonnent les déserts affectifs,
Les rires et les mensonges disparaissent à la fin de la nuit,
Quand les bouteilles sont vides.
Les masques tombent aux premières lueurs,
Quand le souffle du vent de l'est réchauffe les pruniers malades.

Luc Mandret a dit…

Etre jeune et beau peut également s'avèrer être un handicap psychologique dans la vie adulte ...

Hannibal Volkoff a dit…

Autre: joli poème. Tu t'es enfin remise à l'écriture? A quand un blog?

Lancelot: sans doute, et j'imagine que tu parles d'expérience, après avoir cru bon d'enlever Genièvre à son mari.
Mais... "être jeune dans la vie d'adulte", ça ne ressemble pas un peu à un oxymore?

Marc a dit…

Ce que tu dis sur le jeunisme, c'est vrai. Pas la peine de citer des blaireaux comme Finkelkraut ou Houellebecq. Surtout Houellebecq qui est un vieux répugnant qui bande sur une jeunesse qui le fuit. En fait, tout bien réfléchi, il est un bon exemple pour ce dont tu parles...

Hannibal Volkoff a dit…

Oui, houelleby est effectivement l'exemple typique, mais s'il l'est, c'est parce que lui au moins ne s'en cache pas.

Et la jeunesse ne le fuit pas: s'il y a bien une chose d'aussi excitante que la beauté, c'est le talent. Alors le talent + la célébrité...

(mais lui même en a-t-il envie? Si houelleby avait une vie sexuelle épanuie, ce serait la fin de son fond de commerce)

Anonyme a dit…

"Trop vieux"... Mais qu'on se dépêche de panthéoniser Laurie et qu'on passe à autre chose. Que ne peut-on entendre parfois, je vais me faire lifter dans ce cas...

(Par ailleurs, j'aime cette référence herbertienne;)

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