lundi, mars 23, 2009

Neuilly

C'est un texte que j'ai écrit les derniers jours de l'exode à Neuilly. Je suis actuellement de retour dans le 5ème, agitant un mouchoir maculé de morve vers cette banlieue de costard-cravates.
(La cravate, en fait, m’a toujours fait penser à une laisse. C’est sans doute pour cela qu’elle est obligatoire en entreprise)


(extrait de ma série "variation sur ma vue à Neuilly)

Depuis que j’habite à Neuilly je suis régulièrement agrafé par un voisin fou, à l’aporie pantoise de sa présence et à l’incapacité de m’en tirer avant plusieurs heures (avant la grossièreté). Je pourrais aisément vanter la gentillesse de cet homme, ancien peintre psychédélique, ancien militaire, ancien costumier du festival d’Avignon, ancien sdf, ancien tout et n’importe quoi, mais son verbiage, à grand renfort de rabâchage et de formules automatiques, me plonge dans un abîme de terreur. L’année dernière j’étais harcelé par un moine spiritain, cette fois ci me voilà en prise avec une véritable adaptation de Kafka. Il me parle de sa vie, m’interroge sur la mienne sans écouter les réponses puis repose les questions avant de répéter les mêmes phrases sur sa vie et ainsi de suite jusqu’au vertige existentiel. On a tous connu ce genre de personnes qui ne peuvent s’empêcher de conter leur ennui en insistant sur chaque détail inutile, mais je remarquai rapidement que, plus redoutable que des autres, lui a le pouvoir de radoter à l’infini ! Et le tout dans un charabia dont le sens et la logique m’échappent complètement –non mais tout ça c’est pas moi je Sacha Guitry, moi moiiii je vais loiiiiiinn, la conscience hein... Qu’on me révèle qu’il sort exactement les mêmes inepties à quiconque l’approchant et je sonne les violons de Psychose. Les premières fois je restai poli avant de pleurer en rage le temps perdu. Puis je me surpris à me permettre face à lui l’expression dans toute sa violence de ma saturation. Mais voilà, les abysses n’ayant pas de fond, je finis par céder sous l’assaut acharné de son maelström, me morfondant dans l’effort le plus bouleversant qui puisse être de renonciation. Celui que je lui dois vis-à-vis des services qu’il me rend. C’est ainsi que fonctionnent les pervers dit-on, la dette à régler envers eux, et le discours en prime sur l’ingratitude des jeunes pour me culpabiliser. Je prends donc la pose et l’expression de l’auditeur attentif, c’est une chose que je sais faire, et j’écoute Creedence ou Ella Fitzgerald à mon secours derrière lui, et je tente d’envoyer discrètement des textos, et je compte chaque gorgée du vin qu’il m’offre comme compensation, et je réfléchis au sens des offrandes sacrificielles que la politesse sert à genoux au rire de Dieu. Dans ce genre de situation les cons parlent d’hypocrisie. Non, ce n’est pas parce qu’on se refuse à ignorer ou mépriser ouvertement quelqu’un qu’on est hypocrite, au contraire, c’est bien parce que l’on reste bêtement conforme à ses principes qu’on peut affirmer ne pas l’être. Le voisin fou, syndrome de Stockholm oblige, je l’aime bien quand même. Je doute cependant d’avoir le moindre regret après mon départ.

(Pourquoi est-ce que je parle, pourquoi est-ce que j'écoute surtout, aussi facilement les gens ? M'intéresserais-je à eux ? Serais-je si terrifié à l'idée de froisser mes interlocuteurs ?)




Toute mesure gardée, le voisin fou me fait penser à une amie enracinée elle aussi à Neuilly, Brigitte F., dont d’ailleurs j’ai appris récemment le nouvel état de veuve. Brigitte F. est une charmante houppette du soleil couchant, sacrophagèsque, de la haute bourgeoisie ; toujours séduisante, mais dont la principale et première ride est d’oublier la moitié de nos anciennes discussions à chacune de nos retrouvailles, ce qui a la caractéristique d’être énervant. Veuve aussi de sa mémoire. Je lui accorde tout de même une excuse, ou dirais-je deux, la première étant qu’en fait je ne l’ai strictement jamais vu en dehors de l’assortiment d’ivresse qui fait tout le charme de ses dînettes (mis à part notre passage au salon de l’art contemporain avec notre connaissance en commun, le chorégraphe Yohann D., consistant cependant à se mettre dans la poche et si possible dans le foie tous les vendeurs disposant de bouteille de vin), leur charme et leur limite. Mesurer le gondolement étourdi de sa démarche au moment même de mon entrée chez elle est un rituel d’incipit au même titre que de reconnaître le compositeur de ses disques de Bach jouant l’attente de la dînette. Quant à la deuxième excuse, c’est simplement que le radotage inclue par ses oublis, a le mérite d’être divertissant, parfois drôle et orné de son fameux accent, toujours. Et puis, plaisir visuel aussi : voir Brigitte F. se torcher la gueule, avouons que ça vaut les quelques minutes d’exaspération qu’impliquent les conséquences verbales. Quelques minutes pour penser à Neuilly et à ses protagonistes, repliés en bout de route dans un no man’s land autarcique où tel des hamsters leur esprit s’essouffle à trouver le nord d’une roue d’argent.

Car s’il devait y avoir une personne avec qui je ne projetterais aucunement de finir la soirée en vomissant le bourgogne qu’elle m’aurait versé dans l’anus, je pense que cette septuagénaire serait bien placée. Reste donc la discussion d’ivrognes. Mais dans une conversation, je crois que rien n’importe plus que la nouveauté. Lorsque quelqu’un se répète, ses sujets continûment exprimés dans une forme distincte (mêmes mots, mêmes images, mêmes formules, même ton ou encore mêmes gestes) disparaissent au profit d’une nouveauté qui soudainement apparaît : la méthode de l’expression des sujets. Pouvoir décortiquer les rouages d’une rhétorique jusqu’à déceler ce qui a été appris par cœur, ce qui a demandé un entraînement ou a été étudié dans le but de produire un effet, voilà qui ne peut être dénué d’un sentiment de ridicule, voir de pitié. La mémoire est le sang nécessaire qui dans le corps d’une conversation cache le squelette-méthode. J’oserai d’ailleurs creuser un prolongement hasardeux : si la droite Sarkosyste se souvenait réellement des systèmes fascistes de toute sorte, rajouterait-elle des couches supplémentaire de peau pour camoufler à quel point leurs méthodes sont proches ? Elle n’en a pas besoin, elle l’a vu, son interlocuteur semble souffrir lui aussi d’Alzheimer, brave hamster, qui rêve de Neuilly, ce ghetto chiant au possible où les gens dans leur oubli du monde votent à droite et meurent.




A la fin, mon voisin fou, après d’inlassables tartines d’une prose digne qu’à être étalée en garniture à la nappe céleste quand par malheur son solitaire crépuscule manque d’alcool, après son radotage dont l’éternelle boucle est une réponse hallucinée au renouvellement de la nuit, mon voisin fou me demande Jean, va-t-on s’en sortir ? Bien sûr que oui, enfin.

4 commentaires:

E. D. a dit…

Sympathique, mais beaucoup d'incorrections grammaticales, syntaxiques et sémantiques... Etonnant tout de même :s

FRED a dit…

Que m'importe les incorrections, le contenu m'intéresse plus.
Ton voisin fou me fait penser à une "connaissance" de comptoir. Hier encore il m'expliquait après son xième demi et je ne sais combien d'autres produits illicites qu'il peut fumer, qu'il ferait un bon maire et qu'il éradiquerait les chiens des villes car "marre de marcher dans leur merde", et si tu veux t'en rendre compte t'as qu'à pisser pendant une journée dans un bouteille pour te rendre compte du volume....
Fred, car il s'appelle Fred aussi, délire à tout va, refait le monde à longueur de journées, coincé entre son alcool, sa dope ses médocs et ses allocs!Hier il me racontait aussi sa rencontre avec Gogol Ier, qui éclatait des têtes de cochons encastrées dans des télés sur scène et lui avait dit: -toi tu finiras à la télé!
Il y finira peut être, hier dans son alcool, au volant de sa voiture, il en a encastrée une autre garée alors que les flics passaient....

Hannibal Volkoff a dit…

Maxime, il n'y a pas de fautes, c'est le texte qui se meut.

Fred, oui, c'est à peu près le même principe.^^

Autre a dit…

N'approchons-nous d’une dimension inter sémiotique, d'une polysensorialité, que dans notre façon de citer les autres matérialités du discours rapporté? En citant un geste ou un corps autre? ^^

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