vendredi, septembre 07, 2007

Pute

L’hôte de mon colocataire a sucé la queue d’un gentil patron pour 100 euros, il avait besoin d’argent afin de voyager à Nantes. Moi on me propose 500 euros (héhéhé, comme quoi !), pour un programme «branlette, câlin, fellation». Mmm, à voir.

J’ai connu plusieurs escort-boys ces derniers temps, il paraît que ce n’est pas commun comme métier, je ne sais même pas si c’est reconnu. Peut être l’escort est-il reconnu et non la pute. Il s’agit pourtant exactement de la même chose, me semble-t-il. Je n’ai jamais rencontré une de ces personnes payées pour tenir compagnie à son client «en tout bien tout honneur», je me demande si ce n’est pas en fait un mythe. Une maligne dérobade. Mais à y réfléchir, on dit tellement de choses sur les putes que je ne vais pas m’étonner d’entendre parler de prostitués qui ne baisent pas. A figurer auprès de celles «au grand cœur». Ceci n’a rien d’étonnant : elles s’occupent des pines et vagins coincés dans leur rhume solitaire, ce sont des saintes, et qui dit saintes dit religion, et qui dit religion dit Mystère. Personne n’en a vu mais tout le monde y croit. Au fond les bonnes putes, les heureuses des joyeux instants qu’elles procurent à leurs clients, les salvatrices compréhensives, elles existent : il suffit d’avoir la Foi.


Les sociétés ont besoin d’imaginer cette hypothétique bonté, elles en ont besoin parce qu’il leur faut des saints sacrificiels pour se déployer. Le sacrifice, pour la rédemption. Heureux les pauvres, le Royaume des cieux est à eux : une parole divine bien confortable quant il faut rassurer moralement les bourgeois. Eh bien soit. Si je me prostitue, j’essayerais d’y prendre du plaisir, j’en prendrais, je deviendrais ce cliché.

Du reste, si je devais être une pute malheureuse, de toute façon personne ne le saurait, donc à quoi bon, hein. Les putes on les écoute pas, on les baise et on les imagine. Je n'y gagnerais rien. Ca fait des siècles qu'elles subissent leur condition de marginales et tout le monde s'en fout. On n'a commencé à vouloir les en sortir que lorsque la prostitution pouvait enfin devenir un choix (et un bon plan économiquement parlant), chose inacceptable puisque dénuée de toute idée de sacrifice. C'est alors que les féministes sont arrivées, elles et leur puritanisme. Des valeurs sûres pour dire que non, dans tous les cas la condition de prostitué est liée à la souffrance à et à la misère; au final, ce sont toujours les concernés qu'on n'écoute pas. Qu'importe : le principal travail des féministes ne consiste qu'à expliquer qu'une femme n'est pas une pute -ce qui, en fait, ne veut strictement rien dire. Connasses. Si je devais être une pute heureuse, ce serait contre elles. Et puis, que le beau temps revienne. En septembre c'est un peu tard.

J’ai la fièvre, souvent. Je déambule dans les rues comme un somnambule, l’impression de ne plus avoir de corps, d’être à l’intérieur de ce corps mais comme témoin passif. J’observe la douleur flottante, le flou de ma peau et ses fins grésillements. L'espace autour est encore plus lointain, l'espace autour, mon organisme est une baie vitrée qu'il ne traverse que filtré dans un prisme où ses couleurs se décomposent. Gris, bleu azure, couleurs incertaines. Et mes poumons-poubelles grognent, et je fume quand même. Ca va passer, je me dis, tout passe toujours. C’est la phrase favorite de mon grand père : «Tout passe, tout passe»… Sauf que si tout passe, c’est en se détruisant.

Dans le cas de la maladie, il y a d’abord le temps, qui n’existe plus. La douleur s’ondule dans une sorte de rythmique répétitive, de transe, petits coups de batterie au dessus de l’œil gauche, migraine. La migraine a toujours été ce que je crains le plus, parce qu’elle empêche de penser (et surtout au sexe). Il n’y a plus qu’elle. Combien de temps pour un coup de batterie au dessus de l’œil ? Aucun : même aux yeux de la société ce temps n’existe plus, nous sommes dispensés de tout, l’absence au travail s’en trouve béni. Sans doute parce que la douleur est la punition de notre corps à ce temps qu’on lui impose, un temps cadré selon les horaires du travail. Un temps dégueulasse, donc, le plus solide moyen de combattre nos pulsions.
Revanche d’un corps vendu. C’est quand je suis malade que je le vendrais bien, pourtant, mon putain d’organisme.

Vendre son corps, en voilà un beau cliché concernant la prostitution, d’ailleurs. Pourquoi ne pas parler de location, plutôt ? (Louage, louange, ange-loup. «Sale comme un ange» disait Catherine Breillat.) Si être catin ça consiste à vendre son corps alors l’écriture est l’apogée de la prostitution. Ceci amène cela, me direz-vous.

Au fond, oui, il y aurait un peu de littérature de ma part, dans le fait de devenir une pute. Je suis sûr que tous les ados, que tout le monde en a déjà rêvé. Cet autre cliché : le bourgeois quittant clandestinement son milieu pour faire des passes la nuit. Belle de Jour. Mais je crois que ce fantasme a beaucoup perdu de sa pertinence. Déjà parce que l’un de ses attraits est dans la soumission, dans l’obligation professionnelle de faire ce que le client veut ; une excitante dégradation devenue parfaitement accessible depuis que le sadomasochisme n’est plus un tabou. Et ensuite, simplement parce que sa satisfaction est devenue trop facile, à cause du libéralisme qui de part son «extension dans le domaine de la lutte» narcissico-sexuelle a largement contribué à l’explosion des limites sociales et morales de la prostitution (oh, je pense là à l'un des meilleurs films de Godard : Ce que je sais d’elle, d’un simple regard). Parmi mes amis/connaissances qui se font payer pour baiser, aucun d’eux n’est prolétaire. Il s’agit avant tout d’arrondir les fins de mois, de partir en voyage, de s’acheter le dernier cd d'Hard Fi qui a l’air très bon. J’ai enfin mon t-shirt Vivienne Westwood, je suis heureux.
Séduire
Devenir un cliché. Cliché : image prise en photo. Une image qui reste.
L’infini des possibilités que je ressentais il y a quelques années est devenu mon cliché, il faut que je m’y attache. Je voudrais baiser avec mon cadavre. Ce doit être ça la fontaine de jouvence, une nouvelle peau qui pousserait de l’union entre mon foutre et mes entrailles. Une peau sans temps, malade mais sans douleur. La douleur je peux m’en charger seul merci, j’ai appris comment on la change en plaisir, c’est comme l’obscène, pas très difficile.

Mais pourquoi j’écris tout ça ? J’en sais rien. Je marche dans la rue, avec un peu de fièvre, et les phrases viennent, et j’ai l’impression que tout ce que je pense je dois l’écrire. Un jour je filmerai tout ce que je pense, un jour j’aurai les moyens. Les connaissances techniques, aussi. Question : pourquoi ne pas m’y lancer maintenant ? Arf. Je crois que j’ai besoin de quelqu’un pour devenir génial, un talent à qui m’identifier. Qui me servirait de repère, de repaire.
Mais les rencontres sont si


A propos de prostitution, il faut lire L’amour du prochain, de Pascal Bruckner :
"En hébreu, sainte et putain sont pratiquement le même mot: kadosh et kadesh. Cela vient d'une racine identique qui veut dire séparation. Le saint et la putain se séparent de la communauté des hommes pour les sauver, chacun à sa façon."
La linguistique venait à son secours, nous faisait obligation d'être serviables et tant pis si la charité ressemblait à de la débauche. Sans que je puisse la freiner, Dora s'était lancée dans un héroïsme de la fornication. Nous devenions missionnaires en terre païenne. L'amour du prochain, c'est elle qui le pratiquait maintenant, sans limites. Elle m'avait objecté jadis: à tout aimer, on perd le goût de bien aimer. Elle me disait maintenant: à ne pas vouloir tout aimer, on n'aime rien."

16 commentaires:

Cédric Darval de Bayen a dit…

très bien écrit. et vraiment bien senti.

Anonyme a dit…

Un serpent pour séduire une femme, pour persécuter l'innocence, dès le départ la confusion existe… (Les seuls écrits qu’il faut prendre dans la Bible sont ceux de Jean.^^)

La prostitution-esclavage, l'exploitation liée au commerce sexuel doit être vigoureusement dénoncée. Non? Après, l'individu est-il seul capable de déterminer ce qui lui convient? l'état, la morale, la religion doivent-ils dire le bien ou le mal? se mettre à sa place pour lui indiquer ce qu'il doit faire de sa sexualité? Où est la limite? Eternel problème…

Your Dog a dit…

Je sens un début d'influence maximilienne hélas refoulée. N'oublie pas cependant que les putes c'est mieux que la vie... ;)

Hannibal Volkoff a dit…

Darval de Bayen: ;)

Autre: le serpent ne s'est pas attaqué à l'innocence mais à la confiance. Adam et Eve n'étaient pas innocents, ils n'avaient connaissance de rien.
"l'individu est-il seul capable de déterminer ce qui lui convient?" Entre "adultes consentants et responsables" (désolé pour le ringard de la formule), oui. Je ne vois aucune objection. Comme quoi, le problème n'est pas si éternel que ça.

YourDog: haha... je pense que venant de toi, "influence maximilienne" est un compliment. Sauf que... version calme: non, je ne crois sincèrement pas être influencé par lui. Nos thèmes sont parfois proches, mais nous les traitons différemment.
(rassure moi: cette fourberie était-elle une vengeance du commentaire négatif sur ton blog?)
Version énervée: merde!

Anonyme a dit…

Tu lui ressemble, un de tes proches parents ???


http://www.imedias.biz/images/4020.jpg

sinon ton blog fleure bon la groupie de Mc mais ça reste plaisant à lire même si l'on tombe trés vite dans l'archétype du jeune bi cultivé qui se sert de blogspot (noir de préférence) pour carthatiser ses maux et étaler sa petite culture comme de la confiture sur du pain, sauf que ce dernier est raci.

Bon je retourne sur le forum pour lire avec impatiences vos belles phrases pleines d'emphase!

Anonyme a dit…

Bon ben les escorts boys et girls se font décapités au pays du soleil levant, moneyant quelques milliers(ions) de Yens. De quoi s'acheter une chemise Charvey.
Et je débite de la merde à 18:51.

Hannibal Volkoff a dit…

Anonyme, tendre rognure d'inutilité, le coup de l'inspiré d'MC on me l'a déjà fait, à l'instant d'ailleurs. Tu peux du reste noter une différence entre nous: je prends du temps pour répondre aux abrutis.

1)Si tous les blonds aux yeux bleus se ressemblaient, je serais sosie de River Phoenix. Ce qui n'est pas le cas.

2)Que l'étalage (ah bon?) de ma petite (ah bon?) culture gêne ceux qui développent celle de l'étriquage, je le conçois. Si mon pain est rassis, ne t'en approche pas, tu risquerais de t'y casser les dents.

3)Le forum métamorphose est quasiment abandonné. Mais vas-y si tu veux. Pour lire. Passivement. Faute de pouvoir mieux.

Prototype: y a-t-il des stylistes pour les fringues mortuaires? Si non, quand j'aurai signé mon contrat de décapitation par un samouraï, je pourrai enfin porter cette superbe chemise bleue Thierry Mugler que l'on voit dans le crash n°36. Il faudra m'ouvrir les yeux, ils iront bien avec.

Anonyme a dit…

Ah ah, c'est typique des petits arogants de ton genre de t'extier pour pas grand chose. C'est vrai que MC ne répondait pas aux sous merdes de mon espéce, j'en ai pris note, mais bon, toi tu le fait avec une telle classe, j'en reste pantois...

bon, sur ce je vais me masturber le cervelet ailleurs car ici il ne fait pas bon de la ramener.

Your Dog a dit…

Ah non je décrivais simplement un mouvement, une transmutation, un glissement de ton oeuvre dans un sens qui tendrait à la rapprocher de celle du trépidant MC... Moins d'abstraction, moins de litteratür, référence à Bruckner... Ce qui ne veut pas dire que vous parliez des mêmes choses, ni de la même façon. Pour le plus grand bien des petits et des petits. ;)

Hannibal Volkoff a dit…

Anonyme, on peut parfaitement la ramener sur mon blog. Je ne vois pas ce qui te fais dire le contraire.

Your Dog, je ne sais que te répondre. Dans ce que tu appelles abstraction, je pense plutôt à de la poésie, et il va falloir effectivement que je m'y remette.
(Mais, NR/MC ne conchie-t-il pas Bruckner?)

Cédric Darval de Bayen a dit…

atreides : pourquoi ";)" ??

Anonyme a dit…

Avec une de mes amies frivoles on se disaient "sainte ou salope ?"....Le regard des autres influe, la peur d'être jugées je suppose. Tout est question de point de vue mais l'objet reste le même.

Hannibal Volkoff a dit…

Mon bon darval de bayen, le point virgule est un clin d'oeil, et la parenthèse un sourire. Et avec un tiret en plus, ça fait un nez, comme ceci ;-)
Bienvenu dans la poésie nouvelle génération.

Bonjour Claire!
Quel est l'objet commun de la sainte et de la salope: le bonheur pour tous, ou le bénéfice personnel? Je ne crois pas que la réponse ait d'intérêt.
Et d'ailleurs, ce type qui t'a proposé une belle somme pour coucher avec toi, que lui as-tu répondu, finalement?

Anonyme a dit…

:-(
Et pour avoir le bonhomme en entier sur la photo, faut-il payer?
:-)

Hannibal Volkoff a dit…

Enfin, écureuilgris, on ne m'a jamais en entier, moi.
J'ai pris l'habitude de me décomposer; il faudrait donc tout recoller.

Maximilien a dit…

Un article éclairant sur la question de la prostitution et de sa légalisation, qui prolongera les questions soulevées par ton texte.

http://mauvaiseherbe.wordpress.com/2008/11/11/prostitution-les-pieges-du-pragmatisme/#comment-3402

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